24 et 25 novembre 2018 : compte rendu de l’Assemblée nationale de Non Una di Meno Italia

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On partage la traduction du compte-rendu de la dernière Assemblée Nationale de Non Una di Meno en Italie. Le texte original est initialement paru en italien ici

 

Depuis trois ans le mouvement féministe et transféministe en Italie et dans le monde est puissant et en transformation constante. Il se traduit par une radicalité partagée, mais aussi par son autonomie et son enracinement dans les territoires. Il s’affirme comme un espace de construction d’alternatives et comme moteur de conflit permanent et intersectionnel contre la violence.

La période politique actuelle est marquée par une avancée autoritaire et réactionnaire mais aussi par la jonction entre les politiques néolibérales et l’ordre patriarcal et raciste. En Italie, comme dans le reste du monde, l’attaque idéologique en cours a des lourdes répercussions matérielles. Dans ce contexte, le mouvement féministe global ouvre la voie à un grand processus de subjectivation politique mais aussi à un grand processus de recomposition.

En Italie « l’État d’agitation permanent » décrété à Bologne lors de l’Assemblée nationale de Non Una di Meno du 6 et 7 octobre 2018 est devenu rapidement et partout un puissant moyen de mobilisation et de multiplication des luttes. C’est un processus d’opposition aux politiques sexistes et racistes du gouvernement qui ne dissout pas, mais renforce au contraire la capacité affirmative, productive et transformatrice de la prise de parole féministe et transféministe. Une opposition que nous pratiquons et que nous continuerons de pratiquer à partir de l’élaboration collective construite au cours de ces trois dernières années et concrétisée dans le Piano Femminista (Plan féministe) qui prévoyait déjà les réponses aux politiques patriarcales, racistes, néolibérales et sécuritaires  que nous adressons aujourd’hui au gouvernement jaune-vert de la Ligue et du Mouvement cinq étoiles. Une opposition qui, grâce à l’analyse et aux propositions que nous avançons, souligne à la fois la continuité avec les gouvernements précédents et les radicalisations et les oppressions que génère ce pouvoir exécutif.

À partir du Plan féministe, nous allons construire la grève féministe du 8 mars, pour donner corps et substance aux revendications et aux batailles en cours contre la proposition de loi dite Pillon1, le décret sur la sécurité intérieure2, le revenu de citoyenneté3, ainsi que les attaques contre l’avortement libre gratuit et sûr. La grève sera politique et globale. Elle donnera la parole à celles qui s’opposent de toutes leurs forces aux politiques réactionnaires qui, partout dans le monde, tentent d’écraser ce* qui luttent quotidiennement contre la violence de cette société.

En tant que mouvement féministe, nous dévoilons la relation intime qui existe entre le racisme institutionnel et la violence à l’égard des femmes. Les deux sont le résultat d’un même paradigme réactionnaire et le résultat de la jonction entre la droite gouvernementale, les néo-fascistes et le front catholique pro-vie qui passe aussi par les propositions anti-avortement de différents conseils municipaux. Dans ce cas également, nous ne nous limitons pas à réagir contre les revendications de l’Église sur notre corps, mais nous réaffirmons notre autodétermination en revendiquant « bien d’avantage que la loi 1944 » (molto più di 194).

Construisons des réseaux de solidarité et des pratiques efficaces contre le harcèlement et la discrimination au travail, contre le chantage de la précarité et la dépendance économique. Revendiquons un revenu d’autodétermination, un salaire minimum européen et l’État social universel contre les mesures économiques et sociales du gouvernement. Revendiquons la diversité de nos réseaux affectifs contre l’hétéronormativité de la loi Pillon. Revendiquons la possibilité pour tout le monde de se déplacer et de rester : contre la violence des frontières et le chantage de la clandestinité, revendiquons un permis de séjour européen, le droit d’asile et une citoyenneté sans conditions. Affirmons notre liberté, loin des stéréotypes, des conditionnements et des rôles sociaux imposés, construisons un espace public féministe dans les villes, dans les médias, dans les écoles et dans les universités.

Réaffirmons l’arme de la grève féministe – grève du travail productif et reproductif, grève du/des genre(s), grève du travail du sexe, grève écoféministe et de la consommation – comme processus de conscientisation politique et sociale pour les femmes mais aussi pour toutes les subjectivités précaires, migrant*, trans*, lesbiennes et tou* ce* qui ne se conforment pas aux modèles dominants de sexualité. Relançons la force collective de la grève également comme une possibilité d’expérimenter des temporalités de vie différentes et des pratiques de partage et de libération.

Pour suivre ces chemins et ces pratiques, réinventons l’instrument de la grève.

Bloquer la production et la reproduction sociale, c’est faire la grève sur le lieu de travail, dans les relations de soins mais aussi faire grève pour faire racine dans nos villes, dans nos quartiers, dans nos villages. C’est préparer la grève en descendant dans la rue à des moments décisifs avec la force de nos paroles et de nos pratiques.

Afin de construire la grève, il est nécessaire de créer des espaces d’élaboration et d’articulation des pratiques (maisons de la grève), pour organiser la grève, pour imaginer ensemble des formes efficaces et concrètes d’abstention du travail non salarié, du travail informel et du travail gratuit et reproductif. Nous devons imaginer des stratégies de soustraction au chantage du permis de séjour et à la précarité par la construction de caisses d’entraide, d’autres pratiques de solidarité, ainsi que des lieux et des outils d’alphabétisation syndicale sur le droit de grève (reprenant également vadémécum, graphismes et vidéos). À cette fin, nous nous proposons de créer un groupe de travail et de lien entre les différentes assemblées locales, qui puisse informer et soutenir les travailleu* qui souhaitent faire grève.

Sachant que la grève est un droit des travailleuses, la convocation de la grève générale commence par nous et par cette assemblée : nous allons lancer la grève avec un appel puissant qui, à partir du travail des femmes et féminisé, interpelle tous ce* qui s’opposent à la violence sexiste et sexuelle, à la précarité et au racisme. Nous lançons la grève du 8 mars à partir de la force accumulée au cours de ces trois années de mobilisation, de l’état d’agitation permanent exprimé localement et de la marée féministe. Avec cette force et cette détermination, nous construisons la grève et la confrontation avec les syndicats sous le signe de la réappropriation d’un instrument de lutte par les travailleuses elles-mêmes. Cela génère des contradictions au sein des syndicats. Nous affirmons par conséquent la nécessité pour les syndicats de devenir des instruments d’un processus d’opposition et de construction d’une alternative à partir des protagonistes des luttes au-delà des seules organisations et des structures syndicales.

Gardant cela à l’esprit, nous exhortons les syndicats à se mettre au service de la grève féministe, en garantissant la possibilité concrète de la pratiquer dans tous les secteurs productifs. Par conséquent, nous saisissons l’invitation du Congrès de la Fiom5 comme une occasion pour demander aux travailleuses qui y seront de soutenir politiquement la grève du 8 mars et permettre ainsi sa mise en place effective et pas seulement symbolique.

Nous réfléchissons à la possibilité de construire un meeting international pour une grève mondiale des femmes qui nous donne la possibilité d’une confrontation politique à la fois sur les pratiques et sur le processus de sa construction, en créant les conditions d’un renforcement des réseaux au-delà des frontières nationales.

Le meeting international pourra également être l’occasion de poursuivre le débat national et de situer notre initiative dans le contexte mondial.

Vous nous voulez soumises et exploitées, vous nous faites le chantage au travail ? Nous faisons grève !

 

Notes 

1      Fondée sur l’idéologie straight de « une maman et un papa » et du « droit de l’enfant à avoir deux parents », le projet de loi proposé par le sénateur de la Ligue Simone Pillon, rend le droit au divorce plus compliqué et couteux en introduisant par exemple des nouveaux passages obligés de conciliation concernant notamment la garde des enfants et cela même en cas de violences conjugales.

2      Le « Decreto sicurezza » est une loi qui prévoit un durcissement des mesures répressives contre les formes de protestation, d’occupation et de squats, et un durcissement du racisme d’état. En effet la loi prévoit un durcissement des normes qui règlent le demandes d’asile, l’abolition de la protection humanitaire, augmentation des temps de rétention administrative pour les migrantEs sans papiers, aussi bien qu’un durcissement des conditions pour l’obtention de la naturalisation et la possibilité de révoquer la nationalité italienne aux personnes qui l’ont déjà obtenue dans le cas ou iels soient condamnEs pour « terrorisme » ou « éversion ».

3      Le « Revenu de citoyenneté » était la mesure phare du Mouvement 5 étoiles, une promesse électorale qui s’est soldée par l’introduction d’une subvention distribuée sur des critères des revenus familiaux et sur l’obligation à dépenser la somme allouée pour des biens de première nécessité, notamment de la nourriture, par le biais d’une carte, ce qui rapproche beaucoup ce « revenu » d’une carte de rationnement pour les pauvres.

4      La loi 194 est la loi pour l’IVG en Italie. Aves ce slogan « molto più di 194 » les féministes italiennes réclament non seulement la pleine application de cette loi, mais un accès plein et effectif à l’IVG et à la contraception. Il faut rappeler qu’une bonne partie des médecin* et pharmacien* en Italie sont « objecteurs de conscience » et refusent donc de pratiquer l’IVG ou de distribuer la « pilule du lendemain ».

5      Fédération nationale des travailleur* de la métallurgie. Une des fédérations les plus importantes, combattives et radicales de la CGIL.