Grève sociale : grève du/des genre/s

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Le texte qui suit a été écrit par le SomMovimento NazioAnale à l’occasion de la Grève Sociale du 14 Novembre 2014 en Italie. À la fois journée de grève /manifestations et processus de construction d’une mobilisation de longue durée des precair.e.s en Italie, la Grève Sociale est née comme une réaction à un certain nombre de processus convergents : la mise en place de mesures d’austérité et de démantèlement des services sociaux avec l’excuse de la « crise » et de la  « dette publique » ; l’implantation de mesures de « workfare » qui tendent à la fois à extraire du profit des chomeur.e.s, les culpabiliser et les faire travailler gratuitement ; l’énorme diffusion du travail sous-payé et non payé ; les mesures de précarisation du monde du travail qui – commencées aux années 1990s – sont culminées en 2014 dans l’approbation du Jobs Act (modèle pour la loi travail en France). La Grève Sociale visait non seulement à faire converger différents secteurs du travail et mobiliser les travailleu.r.euse.s precair.e.s qui ne sont pas consideré.e.s par les organisations syndicales, mais aussi à faire la connexion entre les luttes dans et contre le travail et celles contre les privatisations, pour la défense le welfare, des droits sociaux, etc. Nombre d’activistes et collectifs transféministes et queers ainsi que le Sommovimenvimento NazioAnale ont participé à la construction de la Grève Sociale en y portant une analyse des intersections entre construction des genres et des sexualités et formes du (bio)capitalisme contemporaine. Dans ce contexte, la grève du/des genre/s a été mobilisée comme un mot d’ordre.

 

GRÈVE SOCIALE : GRÈVE DU/DES GENRE/S

 

Depuis plusieurs années, les caractéristiques du travail domestique et du care sont devenue communes à tout l’ensemble du travail. À l’obligation d’une disponibilité permanente 24/24, 7/7 de répondre aux nécessités et aux urgences des autres ; à la totale versatilité en l’absence d’une liste de taches clairement convenue s’ajoute le manque de protection et de régularité d’un contrat ainsi que l’incongruité absolue des heures de travail et de rémunération. Toutes ces caractéristiques-là sont désormais imposées dans tous les emplois, que ces derniers soient donc reconnus et rétribués en tant que tel… ou non.

Par ailleurs, une autre caractéristique du travail domestique et du care traditionnellement accompli par les femmes est en train de se généraliser : la gratuité et l’absence de reconnaissance. Un grand nombre de prestations que nous accomplissons produisent un profit, pourtant elles ne sont pas reconnues comme travail et par conséquent non-payées. Ils nous disent qu’un grand nombre de ce que nous faisons n’est pas rétribué parce qu’il s’agit seulement d’une opportunité pour nous de montrer qui nous sommes (pour nous réaliser, pour trouver un jour – peut-être – un travail payé, pour gagner en visibilité). C’est exactement comme, depuis toujours, il a été dit aux femmes : prendre soin des autres est une façon (la seule façon) de s’exprimer soi même.

Par ailleurs, désormais, ce don, considéré typiquement « féminin » de construire des réseaux, de prendre soin des autres ou de les séduire, est une des compétences favorites du marché du travail et elle est demandé à toutes et à tous avec des mécanismes divers pour mobiliser les identifications de genre différentes. Il ne s’agit plus seulement de « savoir faire » quelque chose, mais aussi de mettre à profit tout ce qui fait partie du « vivre » : les passions, les idées, la capacité de créer des réseaux, l’affectivité, notre propre subjectivité, notre façon de se présenter au monde, de nous caractériser nous-mêmes. Pour cela nous pouvons parler de mise au travail des genres… de tous les genres (qu’ils soient codifiés comme hétéros ou queers).

Nous produisons continuellement des genres : que nous les considérions « naturellement » liés à un certain sexe, ou que nous choisissions notre genre, nous le percevons souvent comme spontané, ou avantageux. Ce qui en fait est une contrainte socialement imposée ou situationnellement convenable. Performer un genre reconnaissable est un travail incessant et quotidien : essayez de vous balader dans les rues avec un genre « ambigu » et vous découvrirez la violence de cette imposition.

Le genre est un moyen de production sociale : tous et toutes faisons nos débuts en société en incorporant un genre. Dans nos vies, toutes nos “prestations” sociales, passent par des caractéristiques de genre. Qu’elles soient liées au travail ou pas elles sont “mises en production” de façon spécifique. Nos performances de genre ont tendance à être mise à profit continuellement : quand nous les construisons à travers la consommation (du maquillage à la coiffure, en passant par le « life style ») ; quand nous les performons en partageant les données sur nous, sur nos goûts, sur notre personnalité (par exemple sur les réseaux sociaux); quand nos caractéristiques – présumées – de genre sont mises au travail dans l’entreprise, sur le chantier, derrière le comptoir, à la fac.

Naturellement l’exemple le plus éclatant reste la mise au travail de la féminité normative à travers la naturalisation de son lien avec le travail du care et domestique que soutien, encore, la division du travail entre les deux genres socialement reconnus. Et s’il est vrai que certains changements sont intervenus dans le cadre de la garde des enfants, le cadre du travail domestique proprement-dit a beaucoup moins changé. Qu’elles choisissent ou qu’elles doivent chercher un travail rétribué (reconnu en tant que tel) les femmes doivent toujours se taper le travail rémunéré (à l’extérieur du foyer), et le travail domestique et relationnel non-payé.

Par conséquent en Italie les heures totales du travail familial sont accomplies, encore aujourd’hui à 71,9% par les femmes, lesquelles travaillent en moyenne, chaque jour, une heure et quart de plus que les hommes.

Dans la rhétorique de la crise, nous sommes alors transfigurées en icônes sacrificielles de mères héroïques et épouses dociles capables de concilier production et reproduction, pour ensuite charger nos épaules du poids du démantèlement du welfare, pour nous virer si nous sommes enceintes et pour aggraver la hiérarchisation entre femmes natives et femmes migrantes dans le travail du care.

Mais les rôles de genre ne sont pas que deux : d’autres ont émergés et peut-être le premier à s’en rendre compte a été effectivement le capital. Dans la crise, beaucoup de femmes, gouines, trans* et tapettes semblent se trouver dans un paradoxe strident : très souvent discriminé*s et invisibilisé*s, quand elles ne sont pas exclu*s du marché du travail, iels se retrouvent à être recherché*s et exploité*s exactement en tant que femmes, ou queers. Cela montre clairement que la précarité, la méritocratie et les critères de sélection, en plus d’être généralisés, sont aussi et surtout genrés.

Ce paradoxe vient du fait que nous sommes à la fois assujetties et rendues sujets (et nous nous assujettissons et nous nous rendons sujets) parce que l’on dit que nous sommes à la fois plus créatives, plus communicatives, plus disposées à l’écoute et à la médiation, que nous savons faire une meilleure impression et que nous sourions plus… nous travaillons plus parce que nous avons ce besoin de reconnaissance sociale. En tant que gays, gouines, trans*, queers et personnes qui ont un état relationnel inclassifiable par rapport aux modèles de la « famille » ; on suppose que nous avons des liens qui nous font dérailler du dévouement au travail, alors qu’il nous est demandé de plus en plus d’extraire de la plus-value de nos réseaux de relations pour ensuite l’offrir à l’entreprise. En tant que trans*, nous sommes encore exclu*s du travail ou inclu*s dans des rôles hypersexualisés.

Nous avons bien vu, parce que nous l’avons expérimenté sur notre peau, que le blablabla sur le « facteur femme » comme moteur de croissance et de développement, ainsi que le management de la diversité comme outil d’« inclusivité sociale », ne mène pas du tout à une meilleure reconnaissance des différences. Au contraire, cela mène seulement à une intensification de l’exploitation et de l’appauvrissement qui touche à 99% les femmes et les queers.

Le management de la diversité représente seulement la possibilité pour l’entreprise d’obtenir un avantage compétitif à travers la valorisation « commerciale » des diversités individuelles. Produisant un agrandissement de la clientèle et atteignant une augmentation des ventes de 700% cette pratique se concrétise, même dans le contexte italien.

Evidemment, dans un pays comme l’Italie dans lequel l’hétérosexisme est contrôlé par une large troupe de « veilleurs », le management de la diversité est un instrument particulièrement insidieux de fidélisation et d’exploitation : nous devrions être reconnaissant*s et fidèles à l’entreprise qui nous exploite parce qu’elle nous « donne » gracieusement certains de ces droits qu’un état homophobe ne nous reconnaît pas, en gagnant aussi une image plus « friendly » sur notre peau

Mais ceci n’empêche pas, bien sur, aux homos, lesbiennes et bisexuel.le.s de continuer à subir plus de discriminations au travail que les hétéros (22,1% au lieu de 12,7%), nous sommes ainsi obligé*s de gérer la crise de l’homme traditionnel, dont la perte de centralité sociale et productive est très souvent traduite par une augmentation de la violence de genre et de l’agressivité homo-lesbo-transphobe.

C’est donc pour toutes ces raisons que nous sentons de plus en plus fort que le temps de la grève sociale et de la grève du genre et des genres, est venu. Qu’arriverait-il si à l’intérieur des milles petits ruisseaux de la précarité diffusée dans lequel est fragmenté le travail et le non-travail, si à l’intérieur du travail du sexe, affectif, du travail du care rémunéré ou non, nous pratiquions une grève de toutes les attentes, répétitions, actes, rôles avec lesquels quotidiennement nous (re)produisons l’ordre établi des genres, et avec lui l’ordre établi tout court ?

Une réelle expérimentation libre de son/ses propre/s genre/s, de son propre corps et de ses propres plaisirs peut passer seulement par la dé-genre-action du travail social et par la libération de notre temps de vie : c’est aussi pour cette raison que nous réclamons un revenu inconditionnel de base pour qu’il devienne un revenu d’autodétermination !

#revenudautodetermination

 

Texte original écrit par SomMovimento NazioAnale

Ici le pdf de cette traduction Grève sociale : grève du/des genre/s

Déclaration d’indépendance du peuple des Twisted Lands

21-05-2016. Bologne.
AUTONOMIE TRANS FEMINISTE GOUINE TAPETTE
Photo: Michele Lapini

On partage la traduction de l’appel pour la manifestation natioAnale « Veniamo Ovunque » organisée par le SomMovimento NazioAnale, le 21 mai 2016 à Bologne. Le texte a été traduit par NDQUV groupe ouest. 

 

Nous vivons des heures sombres. De vieux hommes aux cheveux gris, les bras chargés de livres, sont disposés comme des pièces sur un échiquier et nous supplient de nous mettre vite à l’abri parce que la défaite de l’ordre rétro/hétérosexuel et la victoire de l’Internationale Queer sont imminentes. Et ils ont raison, ils ne trouveront pas d’abri.

Nous vivons des heures sombres. Il a fallu des mois de discussions agitées uniquement pour que les parlementaires décrètent qu’on pouvait transformer les queers en couples doux et dociles, mais sans gamins à élever. Cependant, bien avant qu’ils ne nous y autorisent, nous avions déjà créé et vécu au milieu de réseaux d’affects multiples faits d’amis, de camarades, de frères, de sœurs, de bébés, d’amants. Nous vivons des heures sombres. Les sociétés hétéropatriarcales et sexistes n’ont découvert la défense de la liberté des femmes que pour mieux diaboliser les musulmans et militariser les villes. Mais la lutte des femmes contre la violence masculine a toujours été auto-organisée. Les féministes, les migrants et les queers de tous bords marchent déjà ensemble pour détruire les frontières et passer librement d’un genre ou d’un territoire à l’autre.

Nous vivons des heures sombres. Dans certains lieux de travail, nous devons faire semblant d’être hétérosexuels, dans d’autres nous sommes obligés de sacrifier notre excentricité à notre employeur, d’effectuer des retouches pour répondre aux caprices du département marketing. Et même si une allure underground, lesbo-chic ou glamour gay booste les profits, nous sommes toujours payés une misère et nos vies restent précaires. Assez ! Alors que nous préparons le Printemps rose, affirmons-le : si nous devons vraiment nous vendre, alors c’est à nous de décider comment et d’en fixer le prix.

Nous les queers barbares, les créatifs exténués, les bonnes vieilles camionneuses, les vieilles reines du bal sans le sou, les trans* euphoriques, les mégères au foyer, les butchs ruinées, les putes surmenées, les mamies rebelles, les soustraitants précaires : nous sommes unis et nous proclamons au monde la… Déclaration d’indépendance des peuples des Twisted Lands. Nous sommes des pédés sauvages, des féministes en jachère, des fleurs trans*, clandestins et sincères : nous créons des généalogies et des liens de parenté au-delà des espèces.

Nous sommes des trans-écologistes, nous résistons à la radioactivité de la famille nucléaire en expérimentant des formes subversives d’affect, de plaisir, de solidarité, de relations. Nous sommes les guérillas de la lutte anale contre le capital.

Nous nous saisissons de la créativité des marques de mode. Désormais, les comtesses H&M et les reines Lulu Lemon (Repetto ?) devront s’habiller toutes seules. Créateurs et coiffeurs, stylistes et vendeurs, nous mettons en place des équipements éphémères pour l’enterrement de l’hétérosexualité obligatoire. Lesbiennes virtuoses du bricolage, nous arrêtons de vendre la marchandise de Home Depot (Castorama ?) en posant avec des perceuses, des scies et des marteaux. Au lieu de cela, nous les utilisons pour construire des espaces libérés de la compétition et de l’exploitation néolibérales. Nous avons déjà infiltré l’équipe éditoriale de la presse féminine, de la radio commerciale et de la télévision nationale-populaire. Nous interrompons cette émission sur les rôles sexués et la programmation de toutes nouvelles identités préconstruites pour annoncer un nouveau format : la Subversion.

Par les pouvoirs qui nous sont conférés, nous abolissons le culte de l’auto-emploi et l’obligation de transformer tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons en compétences marketables. Ma chatte est ma start-up ! Des miettes de reconnaissance que nous concèdent les entreprises et les politiques antidiscrimination, nous ferons des cookies. Quoi qu’il arrive, nous avons décidé de prendre le contrôle de toute la pâtisserie. Nous parlons en notre propre nom et nous reconnaissons, de manière autonome, des autres en chacun de nous.

Nous nous saisissons pour toujours de la connaissance que nous avons produite à l’Académie du capital pour la remettre en libre circulation. Nous ne serons plus un objet d’étude parce que nos vies ne peuvent se réduire à quelque théorie que ce soit : nous générons de manière autonome des connaissances « sur nous », sur les animaux humains et non-humains, et sur le monde. De manière collective et autonome, nous nous réapproprions nos corps, notre capacité à venir, à créer, à transformer.

Dans les espaces trans*féministepédé/queer de conseil entre pairs, nous déconstruisons et reconstruisons nos corps avec n’importe laquelle et chacune des prothèses physiques et chimiques que nous désirons, nous réinventons les standards esthétiques, les plaisirs, le concept de santé et nous subvertissons les pratiques de soin.

Dur Labeur : à l’occasion du Printemps rose nous déclarons l’abolition de l’exploitation par le travail. Nous mettons en place le Plan annuel queer qui nous donne un logis, l’électricité, l’eau, des roses, des gardénias et des fleurs pour le combat perpétuel de chacun, chaque cerveau et chaque nichon. Nous sommes fatigués de vivre dans des appartements laids et hors de prix : nous reprenons donc les basiliques, les palais, les immeubles abandonnés et les châteaux pour que tous les investissent. À chacun selon ses besoins, ses désirs, ses fantasmes.

Nous proclamons l’avènement de la décivilisation. Nous refusons la logique qui sépare les cultures « avancées » des cultures « arriérées » en prenant pour prétexte les « droits » des femmes ou des soi-disant « minorités » sexuelles. Nous remplaçons la ligne droite du progrès par des lignes obliques, par des lignes courbes, des pas de danse et des vagabondages.

Nous prenons toute la place qu’il nous faut. Firemen up in the trees meow, evictions ciao !

Nous, le peuple des Twisted Lands, envahissons l’espace public par excès de modes de vie autorisés et en opposition à ces derniers. Nous sortons des chambres noires, des salles de sport et de nos retraites rurales, nous déferlons depuis les espaces autogérés dont nous avons été chassés, les rues et les trottoirs, les espaces circonscrits dans lesquels ils ont voulu nous ghettoïser. Nous convergeons vers des espaces communs en perpétuelle expansion. Nous contaminons chaque endroit de notre Fabulosité : chaque rue, chaque boulevard, chaque coin utile pour redessiner la géographie de nos désirs et de nos plaisirs. Ils voulaient qu’on fasse la poussière à la maison? Ils nous trouveront dans la rue à disperser les cendres des rôles genrés.

Nous sommes le grain de sable dans les rouages du capital. Rejoins-nous et prends ton pied avec nous !

texte écrit samedi 21 mai 2016 à Bologne, Italie par NatioAnal TransFeministLezzyFaggy

Demo traduit et édité par NDQUV groupe ouest

WE CUM EVERYWHERE! Self-organized Spaces, Bodies and Desires

 

Le texte en PDF déclaration-indépendance_print

L’album de photos de ZIC – Zero In Condotta, photos : Michele Lapini.

WE’RE CUMING
Photo: Michele Lapini